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Date: Mon, 13 Apr 1998 10:22:53 +0200
Subject: Re: MB: LRD and Response to recent discussion


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La liste Blanchot me paraît bien silencieuse...
Impossible d'y participer, je ne maîtrise pas suffisamment l'anglais, hélas.
Le livre sur Blanchot de Bident paraîtra en mai éditions Champ Wallon.
Je vous envoie une petite lecture du début de Thomas l'Obscur.
Eric



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Content-Base: "file:///C|/MSOFFICE/Office/Gestionnair e%20Office/Recherches/Parcours%20de s%20deux%20premiers%20chapitres%20d e%20Thomas%20l.html" Parcours des deux premiers chapitres de Thomas l

Parcours des deux premiers chapitres de Thomas l'Obscur de Maurice BLANCHOT

 

Thomas l=92Obscur, est le premier roman de Maurice Blanchot, ce texte compte deux versions, dont la première, aujourd=92hui épuisée, date de 1941. La seconde =97 celle que nous allons étudier =97 date de 1950. Entre les deux dates, la guerre.

La version de 1950 est beaucoup plus brève que la première, néanmoins l=92épigraphe de cette seconde version, convie d=92emblée le lecteur à une réflexion sur la littérature :

Il y a pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. Aux pages intitulées Thomas l=92Obscur, écrites à partir de 1932, remises à l=92éditeur en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n=92ajoute rien, mais comme elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même toute nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s=92en croit le centre, l=92on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n=92exprime elle-même que la recherche d=92un centre imaginaire. (TO, 7)

Nous partirons dans notre lecture, à la recherche de ce centre imaginaire, ainsi qu=92à la recherche de l=92obscurité de Thomas.

Ce premier roman est construit comme un cercle : au début, Thomas est assis au bord de l=92océan, puis il plonge, subit une série de métamorphoses et rencontre d=92autres personnages. A la fin du roman, il revient sur le rivage avant de replonger une nouvelle fois à la fin. Thomas, tel Ulysse, ne part que pour revenir ; son voyage ne prend sens que par un retour final au point d=92origine.

 

Marcher sur les traces de Thomas :

Il faut tout d=92abord remarquer que Blanchot ne décrit pratiquement jamais le physique de ces personnages, interdisant ainsi au lecteur, toute figurabilité, toute représentation. Et pourtant, nous le verrons ces personnages ne manquent pas de corps, c=92est particulièrement vrai pour Thomas et Anne, les deux héros de ce roman.

Si la description physique de Thomas est absente, nous possédons en revanche son nom qui lui tient lieu d=92enveloppe charnelle. Le corps de Thomas, c=92est avant tout son nom, corps romanesque par excellence. Nom propre qui sera aussi celui du héros du second roman de Blanchot : Aminadab (prénom du frère d=92Emmanuel Lévinas). Entendant ce nom, on ne peut feindre de ne pas entendre le nom de l=92apôtre Thomas, qui en hébreu, signifie " jumeau du Christ ". En se rappelant aussi qu=92il est celui qui met en doute la résurrection du Christ, et celui qui ne croit que parce qu=92il a vu (voir Jn, 20, 24-30). Sans qu=92il soit question d=92articuler le Thomas de l=92Évangile, et Thomas l=92obscur, nous montrerons en quoi cette figure travaille souterrainement le texte de Blanchot.

Le roman débute ainsi : " Thomas s=92assit et regarda la mer [...]. Puis, une vague plus forte l=92ayant touché, il descendit à son tour sur la pente de sable et glissa au milieu des remous qui le submergèrent aussitôt " (TO, 9). Le premier contact avec le monde se produit par le regard, puis très vite Thomas à un contact charnel, c=92est la mer qui vient le mouiller, le cueillir, c=92est elle qui vient à lui. Activité et événement surgissent du Dehors, la mer appelle Thomas. Thomas nageant, c=92est Thomas confronter symboliquement à ce Dehors.

La mer, ou plus précisément l=92absence d=92eau est perçue par Thomas comme un signe d=92adversité :

La certitude que l=92eau manquait, imposait même à son effort pour nager le caractère d=92un exercice frivole dont il ne retirait que du découragement. Peut-être lui eût-il suffit de se maîtriser pour chasser de telles pensées, mais ces regards ne pouvant s=92accrocher à rien, il lui semblait qu=92il contemplait le vide dans l=92intention d=92y trouver quelque secours. [...] Il y avait un silence et un calme qui faisaient penser que tout déjà était détruit. (TO, 1O, c=92est moi qui souligne).

Première expérience de l=92étrangeté, première expérience où, par l=92entremise du corps, la pensée s=92affronte au réel. Dans l=92énergie de son mouvement (la nage), Thomas surmonte l=92obstacle externe au point de le nier : l=92eau manque et c=92est une certitude. Expérience qui, pour un instant, marque la prédominance de la subjectivité sur l=92élément auquel elle est opposée. Mais ce moment de pure souveraineté de la conscience est fugitif, bientôt ce moment privilégié se perd, se dissous. La contemplation du vide comme demande de secours, ce sera l=92objet des deux dernières pages du roman. Mais dès ce premier chapitre, le lecteur se trouve confronté comme Thomas à une situation apocalyptique présente dans tout le récit : " tout est déjà détruit ". Aussi bien l=92univers de Thomas, que le roman comme porteur de sens, effet de réel. L=92univers de Thomas l=92Obscur est bien une rencontre avec l=92Imaginaire.

C=92est dans un monde privé d=92avenir que Thomas nage : " il y avait sans doute quelque chose d=92insupportable à nager ainsi à l=92aventure avec un corps qui lui servait uniquement à penser qu=92il nageait, mais il éprouvait aussi un soulagement, comme s=92il eût enfin découvert la clé de la situation et que tout se fut borné pour lui à continuer avec une absence d=92organisme dans une absence de mer son voyage interminable. " (TO, 11). Le corps est ici res cogitantes. Par son corps, Thomas fait l=92épreuve d=92un corps pensant, et d=92un corps qui éprouve sa propre néantisation=2E Néantisation qui ne dure pas :

L=92illusion ne dura pas. Il lui fallut rouler d=92un bord sur l=92autre, comme un bateau à la dérive, dans l=92eau qui lui donnait un corps pour nager. Quelle issue ? Lutter pour ne pas être submergé ? Se noyer amèrement en soi ? C=92eût été certes le moment de s=92arrêter, mais un espoir lui restait, il nagea encore comme si au sein de son intimité restaurée il eût découvert une possibilité nouvelle (TO, 11-12).

L=92eau toute à l=92heure absente, redevient ici une force dominatrice. L=92eau retrouvant sa présence, elle rétablit par là même le corps de Thomas, mais elle lui restitue un corps égaré. C=92est au moment où Thomas est le plus près de se perdre =97 perte qui n=92est pas la noyade dans l=92élément, car cette noyade pourrait être le moyen de s=92unir totalement avec le monde, de se fondre en lui =97 c=92est-à-dire de se perdre en soi, que l=92espoir renaît. L=92espoir ne vient pas du Dehors, il est restauration de l=92intimité par elle-même, sorte de négation de la négation.

Cette restauration de l=92être va se produire sous la forme d=92une nouvelle naissance :

La tentation prit un caractère tout à fait insolite, lorsque de la goutte d=92eau il chercha à se glisser dans une région vague et pourtant infiniment précise, quelque chose comme un lieu sacré à lui-même si bien approprié qu=92il suffisait d=92être là, pour être ; c=92était comme un creux imaginaire où il s=92enfonçait parce qu=92avant qu=92il y fût, son empreinte y était déjà marquée. [...] il se rejoignait, il se confondait avec en soi en s=92installant dans ce lieu où nul autre ne pouvait pénétrer. (TO, 12, c=92est moi qui souligne.)

C=92est peut-être le seul moment de bonheur, de plénitude de tout le livre, ce moment unique, merveilleux et inouï, où Thomas découvre que le monde est fait pour lui, que le monde, d=92une certaine manière, l=92attendait. C=92est comme si le monde entier, la terre et la mer qui le portent, s=92étaient rassemblés, contractés, dans un " creux " certes " imaginaire ", mais un creux où Thomas scelle son rapport à l=92existence. Jouissance de découvrir que le monde, non seulement lui est donné, mais qu=92il va porter sa marque. Dans ce " lieu où nul autre ne pouvait pénétrer ", Thomas avance dans sa propre trace. Peut-être que toute l=92aventure de Thomas, n=92est-elle que la quête démesurée de cette trace initiale un instant entrevue ? Peut-être aussi le texte, n=92est-il lui-même qu=92une empreinte préexistante (nous y reviendrons dans la partie suivante).

Dans le chapitre deux, Thomas retrouve la terre ferme et évolue dans une nuit profonde. Une nuit qui revêt le visage de l=92horreur :

[...] en dehors de lui [Thomas] se trouvait quelque chose de semblable à sa propre pensée que son regard ou sa main pourrait toucher. Rêverie répugnante. Bientôt, la nuit, comme si elle était réellement sortie d=92une blessure de la pensée qui ne pensait plus, de la pensée prise ironiquement comme objet par autre chose que la pensée. C=92était la nuit même. (TO, 17)

Dans la nuit tout se dissout, il n=92y a plus de Dehors de traces du monde. C=92est une nuit infiniment obscure et bruissante=2E La nuit n=92est pas uniquement l=92absence de jour, événement qui vient du Dehors et qui envahit et recouvre le monde, la nuit est également une nuit intérieure, une nuit échappée de la pensée. La nuit, c=92est le négatif de la pensée, sa fêlure, c=92est comme si la nuit envahissait Thomas et prenait possession de sa pensée. Quelques lignes plus loin c=92est son =9Cil qui devient exorbitant ; il couvre l=92horizon sans pour autant pouvoir le découvrir, le percevoir. Dans une vue totalisante et globalisante, quand on voit tout, on ne voit plus rien, tout est sur le même plan, tout est équivalent, c=92est-à-dire qu=92il ne reste plus rien que l=92impression d=92espace, d=92étendue infinie. Tout est neutralisé. Seule, pointe =97 dans cette nuit plus nocturne, plus opaque que toute nuit =97, un début de clarté. Cette démesure de la vue qui conduit à l=92aveuglement et à une hypertrophie du corps, s=92avère paradoxalement positive et gratifiante pour le sujet : elle nie la nuit dans la nuit même, pour accueillir le jour. Nous somme dans un univers où la dialectique est reine ; elle tisse dans les paradoxes qu=92elle énonce, des images, des métaphores inédites, infigurables.

L=92accueil du jour est l=92amorce d=92une ré-flexion, l=92essence de la vue, c=92est la séparation, la distance entre l=92=9Cil et l=92objet, cette distance est ici annulée, Thomas ne perçoit pas plus le monde. Mais dans cette absence de vision, il atteint le pur regard, un regard auto-scopique, comme s=92il pouvait observer son propre regard. La distance abolie, c=92est le monde entier qui pénètre dans l=92=9Cil de Thomas : " de toute évidence un corps étranger s=92était logé dans sa pupille et s=92efforçait d=92aller plus loin " (TO, 18).

La fin de ce second chapitre se clôt par une métamorphose de Thomas en corps cadavérique (TO, 19), Thomas devient le cadavre =97 vivant =97 qui incarne le désir et la peur=2E Il n=92est plus maître de son corps, il est soumis aux forces du Dehors, comme envahit par l=92extériorité qu=92il ne peut que subir : " Il était pressé, dans chaque partie de sa chair, par mille mains qui n=92étaient que sa main " (TO, 19). Le corps de Thomas ne peut plus opérer sur sa conscience, il n=92y a plus de distance entre lui et le monde, distance nécessaire à toute activité de la conscience. Non seulement le monde l=92entoure, l=92emprisonne, mais il est comme rempli, habité par ce monde qui fusionne en lui. Cette absence de frontière entre lui et le Dehors fait que sa pensée ne lui appartient plus, il est dépossédé de lui-même :

Une mortelle angoisse battait contre son c=9Cur. Autour de son corps, il savait que sa pensée, confondue avec la nuit, veillait. Il savait, terrible certitude, qu=92elle aussi cherchait une issue pour entrer en lui. Contre ses lèvres, dans sa bouche, elle s=92efforçait à une union monstrueuse. Sous les paupières, elle créait un regard nécessaire. Et en même temps elle détruisait furieusement ce visage qu=92elle embrassait. Villes prodigieuses, citées ruinées disparurent. Les pierres furent rejetées au dehors. On transplanta les arbres. On emporta les mains et les cadavres. Seul le corps de Thomas subsista privé de sens. Et la pensée rentrée en lui, échangea des contacts avec le vide. (TO, 19-20, dernière lignes du chapitre deux)

Monde de la catastrophe, de l=92Apocalypse, nous l=92avions dit ; la pensée effectue ici un coup de force, elle fait violence au corps. La pensée n=92est pas un contenu à l=92intérieur d=92un contenant (le corps), elle est puissance d=92extériorité. La pensée est la venue du Dehors, c=92est en cela qu=92elle fait Événement dans le monde. L=92union =97 qui paraît impossible avec l=92enveloppe charnelle de Thomas =97 est une union douloureuse ; non parce qu=92il y aurait une dichotomie entre la pensée et le corps, mais parce que la pensée travaille le corps. Elle provoque à l=92intérieur du corps de Thomas déchirure et destruction, la pensée agit comme une officiante de l=92Apocalypse. Est-ce au prix de cette métamorphose douloureuse de la chair de Thomas que la pensée advient ? La pensée fait table rase, c=92est là sa force ; toute pensée est nouvelle pensée, elle efface ce qui la précédait. Ainsi, le corps de Thomas est comme " privé de sens ", vidé de lui-même et dépossédé du monde qu=92il contenait. Comme si la pensée ne pouvait advenir que dans la souffrance, le déchirement, la faille, à la manière d=92un Antonin Artaud, par exemple.

 


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