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Date: Tue, 7 Sep 2004 15:32:41 -0700 (PDT)
From: "J.M. Adams" <ringfingers-AT-yahoo.com>
Subject: [postanarchism] Creagh: "Dialoguer Avec Les Marxistes?"


In this essay, Ronald Creagh of the Research on
Anarchism list makes reference to Nicholas Spencer's
article on spatial politics and postmodern anarchism
in order to critique Marxism's prioritizing of
politics and economics over other forms of power...

***

Dialoguer Avec Les Marxistes?

http://endehors.org/news/4658.shtml

by Ronald Creagh

Le dernier numéro de la revue Contretemps pose le
problème du dialogue libertaires-communistes. Il y a
également eu quelques échanges sur la question dans le
Monde libertaire et sur certaines listes de
discussion. Fort bien, mais un dialogue sans critique
ressemble à du refoulement. Mais que nous offrent donc
les marxistes de si alléchant pour travailler avec eux
? Cela fait des décennies que des centres d'histoire
anarchistes envoient des communiqués à des revues
comme l'Histoire et que des éditeurs libertaires 
envoient gracieusement des livres à Libération, au
Monde et j'en passe. Quand on cherche à comprendre
pourquoi aucune annonce ne passe, on apprend que le
responsable de telle ou telle rubrique appartient ou a
jadis appartenu à quelque groupe qui se réclame du
marxisme. Je n'ai pas vu dans des revues marxistes, ou
alors cela m'a échappé, de publicité gracieuse pour
des revues anarchistes de qualité, quoique non
financées par quelque organisme universitaire ou
étatique. 
J'attends leur protestation lorsqu'un journal, disons
le Monde, utilise le mot « anarchiste » pour trier les
torchons des serviettes (sauf quand il s'agit d'art,
parce qu'alors ça fait snob), quand il se sert du nom
pour marginaliser le mouvement, et qu'il utilise
l'adjectif avec une légèreté qu'il ne se permettrait
pas, par exemple, pour qualifier certains groupes qui
se considèrent discriminés.

Pas plus que je n'ai vu la gauche déposer de plainte,
au nom des « droits de l'homme » ou du « citoyen »,
contre l'inscription des anarchistes par Europol dans
la liste des organisations terroristes.

En revanche, si les anarchistes ressortent à tout bout
de champ les indignités du passé Kronstadt et Trotsky,
la guerre d'Espagne .et les communistes, etc.  , je
vois aussi de l'autre côté des rappels de
l'antiféminisme de Proudhon, de l'antisémitisme de
certains anarchistes, et même des parentés découvertes
entre l'anarchisme et les mouvements fascistes ou
protofascistes.

Il est peut être triste de voir les anars défiler sans
se mêler à d'autres groupes, mais que signifierait
cette unité moutonnière puisque les dialogues ne
peuvent s'en tenir qu'à des rapprochements tactiques.

Peut il en être autrement? Quel apport intellectuel le
marxisme offre t il aujourd'hui?

J'ai le plus grand respect pour le dévouement, la
générosité, la sincérité de mes camarades marxistes,
mais en dehors de leur remarquable compétence dans
certaines analyses du politique ou du social, je ne
vois pas quel enrichissement tirer de leur conception
du monde.

Le marxisme est captif d'une époque et d'une histoire.
Il n'y a pas de marxisme avant Marc; certains diraient
même qu'il n'y en a plus eu après, et que les
marxismes sont l'ensemble des interprétations erronées
de Marc. Quoi qu'il en soit, les diverses formes du
marxisme dégagent une même idéologie de la
représentation.

Cette représentation se structure selon un axe bien
délimité. Pour Marx, toute société repose sur un
pilier, son système économique. Les autres facettes
sociales, la culture, le politique, l'État, peuvent
avoir une logique propre, mais ce n'est pas une
logique autonome: elles dépendent en dernière instance
de l'économie, centre du pouvoir.

À partir de ce fondement ultime s'organisent des
constellations de concepts, que les successeurs de
Marx se sont efforcés de mettre à jour; de peaufiner,
voire parfois d'abandonner subrepticement. Tout cet
appareil intellectuel fait du ou des marxismes un
outil qui, s'il s'est forgé à une époque donnée, en un
lieu donné, est utilisable partout et à toutes les
époques.

Une telle efficacité est séduisante. Cette approche
offre une vue d'ensemble de toute société; pour Marx,
puis pour Lénine, une théorie adéquate de la totalité
du monde offre les moyens de diriger la révolution
mondiale. Dans un univers en perpétuelle
transformation, difficile par conséquent .à cerner,
elle donne au marxiste le sentiment de tenir une
structure ferme qui lui permet une vision globale qui
distingue l'essentiel de l'accessoire. Elle révèle le
lieu caché du pouvoir.

Et aussi, elle est essentiellement stratégique. Le
militant peut voir à quel moment de l'histoire il se
situe, chercher les failles de structure qui
permettront à terme l'épuisement du système
capitaliste. Comme l'écrit Nicholas Spencer, il peut «
contrôler les événements révolutionnaires parce qu'il
accorde la priorité à l'histoire et à l'économie ».
(Historicizing the Spontaneous Revolution: Anarchism
and the Spatial Politics of Postmodernism, liste de
discussion « postanarchism . post normal anarchism »).
Son savoir est d'ailleurs ancré sur deux sciences
humaines, l'économie et l'histoire; le marxiste peut
se penser en tant que scientifique.

C'est au nom de l'histoire et de l'économie qu'il sera
nécessairement contre révolutionnaire. Car après avoir
attendu   et annoncé   pendant près de deux siècles
les signes précurseurs du déclin du mode de production
capitaliste, il lui faut maintenant des certitudes et,
tant que celles ci ne viendront pas, il s'emploiera
comme dans la France de Mai 1968 à étouffer toute
révolution spontanée sous prétexte qu'elle est
illusoire.

Le marxisme est intellectuellement gratifiant. Il ne
veut pas voir, palper, humer, sentir les êtres dans
leur mystère, leur infinitude et leur brouillage.
C'est une vision cinémascopique du monde. Il a
construit des concepts techniques, sophistiqués, et
regarde le monde à travers cet agencement. Cette
représentation du monde, aussi idéologique qu'une
autre, présente une illusion de sécurité parce qu'elle
exclut toute autre alternative.

L'histoire et l'économie assurent une assise «
scientifique » à un découpage de la scène sociale en
structures essentielles et phénomènes accessoires. Ces
structures essentielles permettent de porter un
jugement global sur le type de société, son
fonctionnement, son avenir. La carte d'identité d'une
société donnée définit le scénario qui s'ensuivra.

Les concepts sophistiqués que le marxisme élabore, la
lutte des classes, l'aliénation, et ainsi de suite, ne
peuvent être plaqués rigidement sur les sociétés
contemporaines. Ce sont des signifiants et donc des
constructions d'une société donnée, à une époque
donnée, dans un cadre idéologique donné. Toutes ces
vieilles lunes peuvent tout de même contribuer à notre
éclairage, mais nous ne pouvons rester scotchés à
l'écran d'un cinémascope. D'autres enjeux sont à
l'oeuvre, comme les luttes ethniques ou le système
patriarcal, qui témoignent d'une situation bien plus
complexe qu'on ne le pensait jadis.

On peut fort bien d'ailleurs concevoir que quelqu'un
soit à la fois marxiste et anarchiste: cela a été
montré pour un certain nombre d'auteurs juifs
allemands, en particulier, et même Bakounine se disait
marxiste en matière économique; quelques historiens se
sont efforcés de mettre au jour les aspects
anarchistes de Marx lui même.

Il n'y a rien de tout cela dans l'anarchisme. Il
n'existe pas un corpus de concepts que chaque penseur
entreprend de développer progressivement. En réalité,
chaque philosophe anarchiste, de Bakounine à
Kropotkine, de Malatesta à Stirner et de Landauer à
Zerzan a établi sa propre cartographie. Par exemple,
des positions très différentes et même contradictoires
ont été adoptées au sujet d'une classe sociale
porteuse de la révolution. Jetant le reste avec ou
sans commentaire.

Un seul trait fait l'union de tous, une position
éthique et politique, le rejet de toute forme de
domination. Morale petite bourgeoise, disent
dédaigneusement les marxistes; quant aux philosophes
universitaires, ils n'y voient aucun grain à moudre
pour leurs systèmes de pensée.

On peut gloser sur l'un ou l'autre de ces théoriciens
ou de ces courants, repérer un imaginaire collectif ou
des pratiques communes, on ne voit guère un corpus de
concepts bien articulés, formant un tout, que chaque
génération s'efforcerait d'approfondir. En effet, sur
l'axiome de départ peuvent s'élaborer des philosophies
très différentes.

Horreur! l'anarchisme est à la portée du premier venu.
Il n'a pas besoin de se plonger dans  le Capital,
passage obligé de tout novice marxiste; il peut se
dispenser de la lecture de Bakounine, de Proudhon, ou
de qui que ce soit; il faut et il suffit qu'il
souhaite une société profondément égalitaire, ce qui
implique le rejet de toute forme de domination, et la
critique de toute représentation. Tout cela n'a rien à
voir avec l'histoire: la position relève du mouvement
socio culturel d'une société donnée. Bref,
l'anarchisme n'est pas une science, bien qu'au long de
son parcours, le militant sera invité à puiser dans un
certain savoir pour décider, par exemple, que la fin
ne justifie pas les moyens, ou que ceux ci doivent,
autant que possible, anticiper une société autre.

Mais voici que la situation se retourne: le marxisme
se voulait rigoureux parce qu'appuyé sur deux
sciences, l'économie et l'histoire. Or celles ci sont
en crise parce que le caractère scientifique des «
sciences humaines » n'est plus seulement récusé par
les sciences dures, ce qui a toujours été le cas, mais
dans leur propre camp, par la critique du positivisme
scientiste, et plus généralement par les
développements récents dé l'épistémologie.

Le marxisme est aujourd'hui acculé à défendre le socle
scientifique dé ses positions contre tous les
critiques de l'essentialisme, de la représentation, et
à rechercher désespérément une alternative aux post
structuralistes et aux post modernistes.

Même retournement en matière de sciences politiques.
Celles ci s'obstinent à penser en termes de parti et
de représentation et, comme elles pensent que la nuit
tous les chats sont gris, elles confondent allégrement
pouvoir et domination. Malheureusement, il est des
gens pour penser que le système démocratique est, sous
les apparences d'un rapprochement, une forme
d'exclusion.

Le dialogue avec les marxistes est il possible? Je
pense que l'influence des idées marxistes sur les
anarchistes a toujours eu des effets déplorables et je
suis prêt à en citer mille exemples.

En revanche, si l'échange d'idées me semble voué à
l'échec, une rencontre authentique est possible si
nous savons, de part et d'autre, multiplier les gestes
de solidarité et de commensalité. Nous avons tous trop
de talents pour ne pas boire un coup ensemble.

On me dira que, dans ces réflexions, il n'y a aucune
critique de l'anarchisme. En effet, que peut on y
remettre en cause?

Tout. C'est pour cela que l'anarchisme est, de toutes
les philosophies et pratiques, celle qui me déplaît le
moins.




Ronald Creagh






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- Gilles Deleuze

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